NOLAN ✝ i've just let these little things

L’enfant, être fragile et sans défense. Dans l’âge de l’innocence. Dans l’âge de l’insouciance. L’enfant, si petit, écoute avec curiosité de longues conversations souvent sans importante mais qui venant du modèle tant apprécié prennent un sens plus grand. Plus particulier. Oui, l’enfant ne comprend pas l’adulte, il cherche simplement à l’imiter. Le copier. Être son identique parfait. Caché dans les escaliers, il écoutait, comme chaque soir les paroles de son père. Froides, méchantes. Caché dans les escaliers, ils ne comprenaient pas ce que voulait dire les mots « garce », « idiote » ou encore « trainée ». Des mots comme s’ils étaient simple et sans aucune connotation. Des mots simples et pourtant si lourd de sens. Sa mère pleurait, sa mère sanglotait dans un coin de la cuisine, nettoyant les casseroles qui avaient servi à préparer le repas du soir. Ce soir-là, Nolan n’aurait pas dû rester dans les escaliers. Ce soir-là, pour la première fois, son père et modèle a baissé dans son estime, ne devenant à ses yeux qu’un monstre. Un méchant comme on peut en voir dans les dessins animés. Un bruit sourd à retenti dans la cuisine, un cri et des bruits de pas. Son père allait franchir la porte d’entrée sans même voir son fils. « Tu t’en vas ? » Ses yeux étaient noirs de colère, ses mains étaient crispées. Son visage était froid et haineux. Un dernier regard et il avait quitté la maison. Nolan avait rejoint la cuisine, à pas de loup pour ne pas effrayer sa mère. « Maman, il va où papa ? » Elle n’avait pas répondu, elle n’avait plus rien dit. Pleurant, elle était allongée sur le sol, les mains sur son visage. Elle tremblait, sanglotant dans son tablier. Il n’avait pas compris mais avait fait ce qu’il lui semblait juste, s’allonger près de sa mère et la serrer dans ses petits bras. Il avait cinq ans lorsque son père a définitivement quitté la maison, sans même qu’il comprenne pourquoi. Sa mère était devenue parfaitement muette, offrant pourtant tout l’amour qu’elle pouvait à son unique fils. Tentant de vaincre une dépression dont elle ne sortira jamais. Se renfermant, Nolan s’était construit une bulle. Une muraille autour de son esprit. Autour de son cœur. Jamais plus il n’a été le petit garçon heureux qui avait pour modèle un père devenu absent avec le temps.

Amoureuse, joueuse. Sa moue boudeuse la rendait belle. Désirable. Nolan était tombé éperdument amoureux. Se laissant glisser vers d’obscure contrée, à la fois sinueuse et agréable. Douce et affreusement rigide. Ô ville de lumières, ô ville de l’amour. Elle s’appelait Sarah. Ses cheveux ondulés, elle était belle. Lorsqu’il était arrivé à Paris, il avait dans l’idée de faire ses études pendant quatre années et de repartir ensuite pour l’Amérique. En grand solitaire, il aurait fui la population trop peu souriante de la ville, se cachant derrière des devoirs à répétition ou même en ne quittant son logement d’étudiant que lorsque cela lui était nécessaire. Et pourtant, il l’avait rencontré, elle. Sarah. La sensation fut tellement douce qu’il en avait redemandé souvent, tentant de la revoir par tous les moyens. Tentant même de lui parler. « Salut, je suis Nolan. Tu es dans mon cours de dessin. » Elle n’étudiait pas les jeux vidéo, préférant les dessins-animés. Elle n’avait jamais vu les Etats-Unis sans l’image d’un hamburger dégoulinant de sauce grasse et d’obèse. Lui qui était si gringalet devait venir de la planète mars à ses yeux. Elle était parisienne et n’avait jamais eu envie de partir. Nolan était fou d’elle.
Nolan l’aimait tellement que lorsqu’elle est morte, son monde s’est écroulé. Il avait vingt-et-un ans, une adorable petite fille à élever et un statut de veuf à concilier. Ils s’étaient mariés sous un coup de folie, à la marie de Paris alors que le ventre de Sarah commençait à laisser voir qu’un enfant grandissait à l’intérieur. Ils étaient jeunes, ils étaient amoureux. Sarah est décédée alors que Lou-Anne, leur fille, n’avait que trois mois. Un stupide accident qui a couté la vie à l’unique femme qu’il a réussi à aimer plus que sa propre mère. Un camion et un chauffeur ivre mort, une perte de contrôle. La mort. Il allait avoir vingt-deux ans. Il allait finir ses études d’ici quelques semaines. Tant bien que mal, il a obtenu son diplôme de justesse. Ne supportant plus Paris, il a quitté la ville et est rentré chez lui.


« Papa, je vais être en retard ! » Lou-Anne, dans son pyjama qui n’en était pas vraiment un, se tenait devant Nolan, pointant du doigt le réveil qui se trouvait sur la table de chevet. Il avait passé sa nuit devant son écran, à tester son dernier jeu vidéo. Huit ans et déjà plus responsable qu’un homme de quasiment trente ans. Tous les matins, ou presque, il connaissait le même scénario. Il n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’un enfant devait être conduit à l’école, prendre un petit-déjeuner, s’occuper toute la journée. La mort de Sarah l’avait déboussolée. Il se sentait seul, triste. Il se sentait perdu. Jouer un rôle de père était bien plus compliqué qu’il ne l’aurait pensé. Il avait dû se débrouiller comme il avait pu, sans mode d’emploi avec l’aide de sa mère qui avait refait sa vie avec un homme plus vieux, plus mature. Un homme qui remplaçait à merveille le père qui avait quitté la maison des années plus tôt. Comme chaque matin, il se levait en sursaut, enfilait les premiers vêtements. « Je suis désolé, chérie. Tu as mangé ? Tu t’es brossée les dents ? » Elle hochait la tête, comme d’habitude. Elle s’était habillée seule, s’était préparée seule le temps que Nolan lui-même se prépare. Ses chaussures étaient mises lorsqu'elle revenait le voir. Il souriait, embrassant son front. Il s’en voulait de ne pas être le père modèle. Lou-Anne n’avait pas jamais vu son père amoureux, heureux. Elle ne le connaissait que devant ses jeux vidéo ou devant la cuisine. Il faisait de son mieux pour être à l’heure à la sortie de l’école, de l’aider pour ses devoirs mais généralement, il divaguait et sa fille se débrouillait seule. Il avait conscience de ne pas être le père dont toutes les petites filles. « Je t’aime Papa. Dis ce soir, je pourrais inviter Camille ? On mangera tes pâtes à la carbonara. » Elle rythmait sa vie. Elle l’aidait à tenir. Lou-Anne était son rayon de soleil.

Solitaire, il n'avait que quelques amis. Les femmes, il les évitait. Il ne pouvait oublier Sarah, la mère de sa fille, pensant qu'il trahirait la confiance qu'elle lui avait donné lorsqu'elle l'avait épousé. Asocial, ses jeux vidéo prenait la plupart de son temps, le reste était consacrée à l'unique fille qu'il autorisait à entrer dans son antre d'ours triste et perdu : Lou-Anne. Nolan se cache, Nolan fuit la réalité. Le monde extérieur. Il ne parle pas ou peu aux inconnus. Ses amis se comptent sur les doigts d'une main. Il a conscience de son problème. Il voit bien que sa fille a besoin d'une femme dans sa vie. Il voit bien que sa fille sera malheureuse si son père le reste à vie. Sarah n'aurait pas voulu qu'il se morfonde à ce point sur sa mort. Sarah n'aurait pas voulu qu'il s'inflige une torture intérieur. Nolan devait changer. Nolan finirait par changer.