Revolutionary Road. (marcy)

avant de pouvoir entrer

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« Imagine, dans trois ans, on nous considérera comme des putains de génies, deux novateurs. » Elle éclate de rire, arrache la bouteille de mes mains pour poser le goulot contre ses lèvres peintes d'un rouge cramoisis, avale une gorgée de whisky. « On est en avance sur notre temps. On fera même un film de nos vies. » Sa tête bascule légèrement vers l'arrière, et la bouteille lui glisse des doigts, s'éclatant contre le sol dans un bruit de verre brisé. J'éclate de rire, elle aussi. C'est un putain de scandale, une débauche de tous les diables à deux. Nos foies semblent avoir de l'entraînement pour résister à cette descente. Ou pleurerons nos écarts demain matin quand il faudra se lever, quand la gueule de bois sera si terrible qu'ouvrir les yeux ressemblera à l'acte le plus héroïque possible. Je glisse, ou me traîne dans l'heure actuelle, vers Lauren, me posant sur les genoux pour trouver une certaine stabilité, ramenant la masse de cheveux blonds derrière mes oreilles. J'encadre son visage de mes deux mains avant de poser mon front sur le sien, un rire coincé au fond de la gorge qui ne veut plus me laisser en paix. La musique nous briserait presque les tympans. Un electro gras, que crachent les enceintes disposées aux quatre coins du grand salon. Le manoir en plein Londres, comme un immense château que l'on détruisait à chacune de nos visites. Le père de Lauren nous tuerait s'il nous prenait sur le fait, nous menaçant à chaque fois d'un index accusateur, censé nous paralyser de peur. Que dalle. Fraichement revenus d'Oxford, on fêtait dignement l'obtention de nos master respectifs. Master en musicologie, chose qui ne me servirait strictement à rien, jamais. Ma mère tenait à ce que je fasse des études, certes plus en économie ou en droit, comme mon divin père. Mon frère sera une bonne relève pour ses entreprises. Je plaque mes lèvres sur celles de Lauren, sens sa main glisser sur ma nuque. « On pourrait acheter un bar. » Mes paroles me semblent être les plus absurdes au monde, le ton n'y est pas, mais la conviction intérieure oui. Partir, tout quitter. On en avait parlé une bonne centaines de fois déjà, on avait établi toutes les possibilités envisageables, du Qatar à l'Asie en passant par la France. Tous les jobs connus également, à se marrer pendant des heures devant ces rêves qui ne semblaient rester que des fantasmes. Et l'évidence s'était imposée, maintenant que nous étions diplômés, que le doctorat semblait proche, ou le job stable. Partir, toutes les deux, loin de ce que l'on avait déjà connu, de Londres, des fêtes, l'université d'Oxford, cette connasse de Martha Jenkins qui tenait la conciergerie de notre appartement commun. « Fairview sera un nouveau départ.»

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Mes doigts courent sur le clavier, semblent danser au contact de la musique qu'ils produisent. Les yeux fermés, je laisse la musique emplir les lieux, voler toute autre pensée. Un corps à corps de l'artiste et sa symphonie. Le salon de thé est fermé depuis plusieurs heures maintenant, plus un chat dans les rues si respecables de Fairview, seule la petite lumière de veille accrochée au dessus du comptoir, éclairant comme un podium l'estrade sur lequel se tient mon steinway. Touche inhabituelle dans un tel lieu. Fairview, pour moi, n'est qu'un bourbier face à la Londres que j'avais connu depuis mes premiers pas. Un bruit de bouteille me tire de mes rêveries mélomanes, stoppe le son du piano dont je me sépare. Un regard vers ma droite et j'aperçois la silhouette de Lauren, occupée à se servir un verre. Avec un léger soupir, qui se transforme en sourire vague, je quitte ma chaise, avance d'un pas modéré vers elle. Clope retirée du paquet traînant sur le comptoir, rapidement allumée et coincée au coin de mes lèvres, je contourne le bar pour venir à la rencontre de la jeune femme. Léger signe pour lui dire de me servir également un verre. Pas un mot échangé pendant quelques secondes, le temps de boire d'un trait le gin, remplir de nouveau les verres. « Quoi ? » Je brise finalement le silence, arquant un sourcil devant le regarde qu'il me jette soudain. Mélange de colère et de moquerie, air que je connaissais trop bien en ce moment, pour lui servir également tous les quatre matins. Je crispe la mâchoire, retourne de l'autre côté du comptoir en tirant une chaise vers moi. Regard fixe sur celui de Lauren. « On a tout foiré hein ? » Je hoche la tête, laisse entendre un léger rire avant de tirer une latte sur ma marlboro. « Foiré quoi, Fairview ou nous deux ? » A son tour de rire. Échange de bon procédé simplement. « Ton père sera ravi de nous voir revenir au bercail. » Comme mes parents. Crise monumentale la veille de notre départ précipité pour les états unis. Une honte d'après ma douce mère, sa fille ne pouvait pas aller se terrer dans un endroit comme Fairview, gâcher son talent pour ce qu'elle considérait comme un nouveau caprice de gosse. Et elle ne s'était sûrement pas trompée, tout ça n'était qu'un caprice de plus au final, que je ne me sentais pas le courage d'avouer. Tout comme Lauren. Trop d'honneur, trop d'orgueil pour ça. Lauren se penche par dessus le comptoir pour déposer un léger baiser sur le coin de mes lèvres. « Je n'ai jamais dit que je comptais repartir. » Elle se décale, pose une main sur sa hanche. « C'est ce que tu veux toi ? » Mouvement de balancier, de gauche à droite pour marquer la réponse négative. Je glisse de ma chaise, contourne une nouvelle fois le comptoir pour me poster face à elle. « Absolument pas. C'était ce que l'on voulait non ? Fairview. » Je me penche vers elle, nouveau baiser échangé avant que je ne lui prenne la bouteille de Jack Daniels. « Alors on célèbre nos deux ans ici. » Enjoy.