SUJET COMMUN ◮ ÉPISODE 1

C'était une mauvaise idée. Une putain de très mauvaise idée, mais maintenant que j'étais là j'avais bien conscience que faire demi-tour me desservirait encore plus que de tenter de ne pas me faire remarquer. Voilà pourquoi alors que certains semblaient s'amuser comme s'il avaient fait cela toute leur vie - et pour certains j'étais persuadé que c'était effectivement le cas - je me contentais pour ma part de me cacher - c'était bien le mot - dans un coin sombre en espérant que toute cette mascarade soit bientôt terminée et que je puisse enfin m'en aller sans donner l'impression de ne pas savoir quoi faire de ma personne. « Pardon, excusez-moi ... » Parvenant miraculeusement à me faufiler jusqu'au buffet j'avais attrapé un verre avant de retourner me terrer dans mon coin de pièce comme si j'avais peur que je ne sais quoi m'arrive. Je n'avais même pas prêté attention à ce que je comptais boire - du champagne ? Bah, au moins j'étais pas venu pour rien - et je m'étais contenté de furtivement laisser mes yeux parcourir la pièce. Pourquoi j'étais là ? Facile, j'aimais plus que toute autre chose me faire du mal, et c'était pour cette raison qu'une partie de moi espérait - enfin espérait, façon de parler - croiser Charlie et son Monsieur propre-sur-lui de mari tandis que l'autre espérait croiser Neelah, afin d'avoir une raison de la revoir sans donner l'impression que je lui courrais après. Chose que je ne faisais pas, d'ailleurs ... du moins je crois pas. « T'as vraiment un souci mon pauvre vieux. » A qui je parlais ? A moi-même. Sans commentaire. Me complaisant dans le ridicule de ma propre situation je m'étais contenté de porter mon verre à mes lèvres en soupirant, comme si boire allait m'aider.

« Test, test, 1, 2, 1, 2 ... » Mon dieu, mais qu'est-ce qui m'avait pris de venir me fourrer dans un endroit pareil, dire que j'aurais pu regarder le baseball avec une canette de bière. Au lieu de ça j'étais désormais coincé ici, avec un verre pratiquement vide à la main, bien trop de monde pour pouvoir retourner jusqu'au buffet en prendre un autre sans écraser deux demi-douzaines de pieds, à devoir écouter une perruche fringuée comme un épouvantail et dont le sourire me faisait presque mal aux dents pour elle tant il semblait crispé. « Votre attention s'il vous plait ! » Bien sûr, elle semblait tout à fait être le genre de bonne femme qui ne vivait que pour cela ou presque, recevoir de l'attention ... la mention vautour clignotait presque au dessus de sa tête et y penser m'arracha un léger sourire narquois. Croisant les bras en faisant attention à ne pas lâcher mon verre pour ne pas le briser, j'avais profité de ce que son apparition amène silence et immobilité pour parcourir à nouveau rapidement la pièce du regard, à la recherche de la silhouette frêle et des cheveux châtains de Charlie, ou bien de celle plus élancée accompagnée du chignon blond presque toujours impeccable de Neelah ... Mais non. J'étais vraiment venu pour rien alors ? Être ici ne me paraissait être qu'un plus grand supplice face à cette perspective. « Wouah ... cette foule. Je ne pensais pas la banlieue aussi peuplée. » Pas besoin d'être extra-lucide pour avoir conscience que le silence qui régnait dans la pièce relevait bien plus du pesant que de l'admiration ... Les gens ne buvaient pas ses paroles, la plupart la regardaient en chien de faïence avec un savant mélange de curiosité et de mépris « Et moi je ne pensais pas les new-yorkaises si mal fagotées. » n'avais-je pu m'empêcher de susurrer entre mes dents, sans vraiment prêter attention à ceux qui pourraient m'entendre. J'étais de mauvaise humeur, cette bonne femme me crispait, cette situation ne rimait à rien ... et bon dieu mon verre était vide.

« Écoute c'est mon grand jour aujourd'hui, je n'ai pas le temps ! » Sans attendre une seconde de plus, je raccrochais le téléphone et le jetais sur mon lit. J'étais en train de me préparer, et il fallait que je me presse car un peu plus et j'allais être en retard. Tenue de soirée exigée, je m'étais donc mis sur mon trente-et-un pour cette occasion de me faire filmer. Une robe noire à paillettes avec un beau décolleté était assez. Rien d'indécent, juste quelque chose d'aguicheur et de franchement sexy. Je voulais attirer l'attention des caméras pour me faire remarquer. Après tout, je voulais être actrice, et cette occasion était parfaite pour que ma carrière puisse débuter. J'avais sauté de joie lorsque j'avais appris qu'il y aurait une émission de télé réalité sur notre petite ville, et maintenant, le projet se concrétisait. Je finissais de me maquiller et de me coiffer, mes cheveux descendant en cascades bouclées sur mes épaules, et pris une petite pochette dans laquelle je glissais quelques billets et mon téléphone portable. Je ne rejoignais personne dans la soirée, j'y allais toute seule. Certains appelleraient ça triste, eh bien moi, je trouvais cela courageux. Je n'étais pas là pour m'afficher au bras d'un homme quelconque, j'étais là pour me mettre en avant. Finalement, je me mis en route et arrivais bientôt devant le studio. Plusieurs personnes attendaient devant, mais d'un pas décidé, je rentrais à l'intérieur de la pièce. Tout était bien organisé, on n'étouffait pas, et je pus m'avancer vers le buffet pour prendre une coupe de champagne. Mon attention vint vers l'estrade où une femme venait de se planter. « test test 1.2.1.2 ... » Je soulevais un sourcil. Quel cliché. « Votre attention s'il vous plaît ! »  Un petit sourire vint sur mon visage : elle avait du mal à s'affirmer la petite. J'aurais bien voulu lui donner des leçons mais déjà, les gens vinrent fixer leurs mirettes sur elle. « Wouah … cette foule. Je ne pensais pas la banlieue aussi peuplée. » Un soupir s'échappa de ma bouche. Était-elle sérieuse ? « Et moi je ne pensais pas les new-yorkaises si mal fagotées. » Un petit rire plus tard, je me rapprochais de l'homme qui venait de presque chuchoter cette parole. « Elle me fait de la peine » dis-je tout haut près de lui.

« allez viens ! S’il te plait, pour me faire plaisir. » depuis une bonne quinzaine de minutes, je tentais de convaincre Maggie, ma meilleure amie et colocataire de m’accompagner au gala pour le lancement de la nouvelle télé-réalité de Ferview. Il faut encore que je bosse ma technique, car pour le moment elle n’a pas l’air de fonctionner. J’ai épuisé tous les arguments possibles et imaginables : les beaux mecs, le champagne, les petits fours, la fête, passer à la télé. Rien n’a fonctionné. D’habitude quand je lui dis qu’il y a du champagne, j’ai même pas le temps de dire ouf qu’elle est déjà changée, coiffée, maquillée et prête à partir. Je me demande ce qu’elle a, elle me cache sûrement quelque chose. Bon je n’ai pas le temps de chercher ce que c’est où de l’amadouer avec une boite de chocolats, il faut que j’y aille. Je suis déjà en retard en plus. Je n’ai même pas pensé à James, mon petit-ami, qui doit être fourré je ne sais où, et ça m’est bien égal. En ce moment je suis plus distante avec lui, de toute façon je crois que je n’ai jamais été la petite-amie amoureuse, avec lui, je crois ne jamais l’avoir aimé. Pourquoi rester avec une personne que vous n’aimez pas me direz-vous ? Et bien je dois avouer que ça me réconforte de savoir que j’ai beau, intelligent, gentil, mais chiant, petit-ami qui m’attend le soir quand je rentre. J’ai besoin de savoir qu’on a besoin de moi, c’est comme ça, je suis une femme, toutes les femmes sont comme ça, non ? Bref. Je sors de notre appartement, aussi petit et chaleureux soit-il, je descends les escaliers – l’ascenseur étant en panne depuis tellement longtemps que personne ne se souvient quand il a fonctionné pour la dernière fois – je crois d’ailleurs M. Bowers qui n’a pas l’air très intéressé par le gala de ce soir, il doit préférer rester chez lui à regarder la télé ! Il me lance un regard désespéré voulant dire quelque chose du genre « encore partie faire la fête ! ». Il est vrai que je sors assez souvent, ce qui fait que parfois je ne suis pas très fraîche le lendemain matin pour aller au bureau, mais qu’importe, ce n’est pas mes minables performances qui vont en pâtir. Je monte dans ma voiture et traverse à toute allure et inconsciemment Ferview, ignorant totalement le son des klaxons qui me font signe que je roule trop vite. Pour l’occasion, je n’ai pas voulut faire quelque chose de trop voyant ou extravagant, mais quelque chose de classe, terriblement classe et sexy. Une petite robe noire cintrée arrivant juste au dessus du genou, dotée d’un décolleté plongeant. Accompagnée d’escarpins Louboutin noirs – si c’est pas la classe ça – qui m’ont coûté une bonne partie de mes économies mais dont je suis très fière. Et un petit sac histoire de mettre le petit nécessaire de survie en soirées. J’arrive, un peu en retard, dans le studio, où il y a déjà pas mal de monde. Je me fiche de ce que la femme en robe bleue peu bien raconter, je me dirige vers le buffet, attrape une coupe de champagne et un petit four.

« 1-0. » Machinalement j'avais tourné la tête vers ce que je pensais être la personne à qui appartenait cette voix, la gratifiant d'un début de sourire avant que mes yeux ne se posent sur son ventre arrondis et que son bonheur - supposément - elle à ne me renvoie à la propre situation dans laquelle Neelah nous avait mise ... ou ne nous avait pas mise d'ailleurs. Comme si le destin avait voulu d'ores et déjà me punir d'une réflexion que la vieille pie sur son estrade méritait pourtant amplement, il avait réussi à me clouer le bec. « Elle me fait de la peine. » ajouta une voix à laquelle je ne parvint pas à mettre de visage, mais dont je ne partageais en tout pas l'avis. Cette bonne femme ne me faisait pas de peine, pas le moins du monde, et si quelqu'un avait eut dans l'idée de lui balancer une tomate ou un œuf à la tête je n'aurais pu qu'approuver son initiative. « Allons mes amis, ne soyez pas si hostiles. » Bon, de deux choses l'une, soit elle ne connaissait pas la définition du terme ami soit elle se berçait d'illusion, et si de bêtes remarques lui paraissaient être de l'hostilité elle n'était pas au bout de ses peines dans une ville comme Fairview. Combien de fois après ma sortie de prison avais-je eut droit à des remarques assassines de la part de gens qui ne m'adressaient de toute façon jamais la parole ? Combien d'emplois m'avaient été refusés à cause de cette stupide connerie d'ado avant que je ne trouve ce boulot de plongeur dans la ville voisine ? Dire qu'il avait fallut que je m'exile trois ans du continent avant d'espérer qu'on me foute enfin la paix à mon retour. « Et moi qui pensait que l'on serait venu m'accueillir avec un panier de muffins ... » C'était officiel, cette bonne femme se foutait vraiment de notre gueule à tous. En ce qui me concernait cela ne me faisait ni chaud ni froid, sa voix et ses manière me crispaient mais ce qu'elle était venue faire en ville je n'en avais pas grand chose à foutre en revanche ... Une commère de plus ou de moins qu'est-ce que ça changeait ? C'était surtout les autres qui y verraient de la concurrence. « Ne les tentez pas, je pense que ça pourrait faire mal sachant que certains ne seraient pas seulement remplis de pépites de chocolat. » En voilà un qui savait donner des idées à celles et ceux qui en auraient manqué ; Si l'épouvantail avait un brin de jugeote elle se méfierait de ce qu'on pourrait lui offrir dans les jours et les semaines à venir. « Pardon, excusez-moi ... » avais-je murmuré à ma voisine de droite tandis que je passais devant elle pour enfin me résoudre à rejoindre à nouveau le buffet. J'avais besoin d'un verre, d'un truc pour me tenir les mains et l'esprit occupé comme d'autres auraient eut besoin d'une clope ... d'ailleurs, j'en aurais bien eut besoin justement. « Désolé. » avais-je ajouté tandis que je me frayais un chemin, manquant de justesse écraser un escarpin, avant de finalement m'arrêter net. Charlie. Comme le dernier des trouillards j'avais tenté de faire demi-tour, écrasant cette fois-ci pour de bon les orteils que j'avais miraculeusement épargnés jusque là et oubliant momentanément l'épouvantail new-yorkais et sa montagne de clichés sur les banlieusards ... Il ne fallait pas qu'elle me voit. J'étais peut-être venu dans l'optique stupide d'apercevoir sa silhouette mais maintenant que c'était le cas je voulais simplement disparaitre.

C’est en rechignant que Maddie réajusta sa robe. Elle n’avait aucune envie d’aller à cette fête. Ou plutôt à cette soirée sensée promouvoir la suite des évènements. Sauf qu’il fallait qu’elle y aille, elle était journaliste après tout, c’était son boulot de se tenir informé de ce qui se passait dans sa propre ville. Il y allait avoir des scoops à se mettre sous la dent, certains allaient sûrement critiquer le maire qui s’était permit de vendre la ville à une chaîne de télévision sans demander l’accord aux citoyens. Cela aurait été une bosse chose à faire quand même. Demander l’avis à principales concernées. Sauf que le maire s’en ficher, oh oui et tout le monde le savait. Ils devaient subir tout en se taisant. Comme-ci tout le monde n’avait pas assez de problème pour en plus rajouter celui d’une caméra qui vous filme H24 à chaque pas que vous faites dans la rue. Jetant un dernier coup d’œil à sa coiffure, la jeune femme se demandait ce qui allait bien se passer. Est-ce qu’il y allait avoir un scandale ? Ça serait tellement bien, au moins ça mettrait un peu de piment puis comme-ci elle allait avoir quelque chose à raconter le lendemain dans le journal.

Une fois arrivée à destination, Maddie jeta un coup d’œil aux personnes arrivées. De loin, elle vit certains visages, mais pas ceux qu’elle espérait. Pas ceux qui se fichaient des conséquences et pouvaient être capable de faire un énorme scandale en exprimant son mécontentement face au Fairview Today. Apparemment certains avaient déjà aperçus le buffet et n’avaient pas attendus pour se jeter dessus. Peut-être était-ce pour éviter d’entendre le pdg qui venait tout juste de parler. Maddie eut un demi-rictus quand elle entendit la façon dont la jeune femme essayait de détendre l’atmosphère. C’était assez mal venue de sa part de penser que tout le monde allait l’accueillir à bras ouvert après ce qu’elle venait de faire. Très mal venue d’ailleurs. Du mépris pouvait se lire dans les yeux de Maddie. Elle faisait partie de ses gens qui n’aimait mais alors pas du tout ce nouveau système, cette émission de télévision. Cela la dérangeait beaucoup pour son travail. Bien qu’au contraire, elle aurait dû se sentir enchanté car comme ça elle aurait encore plus de choses à raconter dans le journal, mais non. Le simple fait que les secrets de tout le monde et en particulier les siens soient dévoilés la dérangeait énormément.
Elle se dirigea vers le buffet, prenant un verre de champagne rempli à ras-bord. En le portant à ses lèvres, elle manqua de s’étouffer avec le liquide quand elle entendit les deux-trois remarques lancées au pdg. Et bim ! Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle n’était pas la seule que ça dérangeait apparemment. La concernée tenta de remettre un peu d’ordre, ou plutôt d’apaiser le peuple qui voulait lui faire comprendre clairement son opinion. Une nouvelle fois, un silence de mort se fit sur la remarque qui peut être se voulait drôle de la pdg. Elle ne trompait personne avec son humour et surtout pas Maddie qui ne put s’empêcher de lever les yeux aux ciels. Apparemment une personne avait entendu ses pensées. A peine eut-elle le temps de dire quoi que ce soit, qu’une brunette demanda assez fort pour que tout le monde entende, quand le pdg allait enfin au venir aux faits. Bonne question. Maddie avait pensé que c’était pour l’argent mais au final que gagnait-il ? Rien du tout. Elle n’avait émis aucunes autres hypothèses, n’en trouvant aucune au final. Elle but le reste de son verre de champagne rapidement et se mit en tête d’aller en chercher un autre. Ça allait l’aider à supporter toutes les âneries qu’elle allait bien pouvoir entendre. Remarquant le nombre de personnes qui revenaient souvent près du buffet elle se joignit à une jeune femme, celle qui s’était faite remarqué en posant la question que tout le monde pensait tout bas. « A croire que tout le monde est venue simplement pour le champagne. » Elle baissa les yeux vers son verre, cachant son rire en buvant le champagne. Ses yeux parcoururent la salle et elle aperçut une personne familière. Derek. Inconsciemment, elle pria pour qu’il ne l’ait pas vu et qu’il ne vienne pas la voir.

« Et sinon, vous comptez nous dire ce qui vous pousse vous et votre équipe d’idiots à espionner et colporter les moindres ragots d’une ville comme Fairview ? » Il y avait dans la voix de Charlie une acidité que je ne connaissais que depuis peu, une acidité que j'avais reconnue pour la première fois lorsqu'elle avait débarqué à mon magasin voilà plus ou moins trois semaines désormais ; Et cela me faisait mal dans un sens. Parce que la Charlie que j'avais connu n'était pas ainsi, elle n'avait pas ce quelque chose dans la voix qui la vieillissait et la rendait plus rude ... mais c'était peut-être simplement ça au fond, elle avait vieilli, et moi aussi. « Comme si on avait besoin d’eux, les ragots se colportent très bien sans eux ici, avec toutes nos commères. » ajouta-t-elle finalement, moins fort mais assez pour que moi et les quelques convives se trouvant autour puissions l'entendre. Elle n'avait pas tort cela dit, n'en déplaise aux commères concernées, qui à Fairview se comptaient bel et bien par poignées. D'autres semblaient d'ailleurs partager cet avis, à l'image de la jeune femme qui un verre à la main elle aussi s'était approchée de Charlie pour ajouter « A croire que tout le monde est venue simplement pour le champagne. » Et à en juger par le verre vide que je tenais aussi à la main, je ne pouvais bien entendu pas la contredire. Reste qu'en parlant de commères, j'avais été aussi agacé que peu étonné de voir la silhouette longiligne de France Jenkins se dessiner au milieu des autres tandis qu'elle élevait la voix pour se faire remarquer à son tour, répondant à Charlie avec toute l'amabilité dont elle avait toujours été incapable « Je suis sure qu'elle le ferait si seulement vous la laissiez parler ! » Bah voyons, c'était cette greluche qui allait nous apprendre le respect peut-être. J'avais levé les yeux au ciel malgré moi, et finalement je n'avais pas pu m'empêcher d'ouvrir à nouveau ma bouche « Bien sûr, parce que notre reine des commérages espère qu'elle aura enfin son quart-d'heure de gloire en colportant sur le dos des autres ... » Moi aussi j'étais acide, finalement. Il faut dire que je ne portais pas cette fille dans mon cœur, tout comme le comportement puéril qu'elle avait à mon égard depuis que j'étais revenu vivre en ville. Là où on me foutait enfin la paix elle était la seule à continuer ses insinuations à mon sujet, comme si c'était pour meurtre qu'on m'avait foutu huit mois au frais ... qu'on se le dise s'il devait y avoir meurtre un jour elle était dans le top 10 de ma liste, au moins. Quoi qu'il en soit cette fois-ci c'était peine perdue, Charlie m'avait remarqué, mais cette réaction qu'elle avait à mon égard, ce « Finalement, je vais rester à côté du buffet. » me donnait l'impression qu'elle avait définitivement fait son choix : je n'étais plus rien, rien du tout à ses yeux, rien de plus qu'un habitant comme les autres, un habitant pour lequel on n'avait pas envie de perdre de temps. Parfait dans ce cas, si c'était ce qu'elle voulait que nous devenions, des inconnus, elle n'aurait en tout cas jamais l'occasion de voir comme son indifférence me faisait mal, ça je ne me permettais pas de le laisser transparaitre. « Bon alors, on attend ... on vous a pas prévenu que la banlieue n'avait aucune patience ? » Ce n'était pas moi, je n'étais pas le genre à me faire remarquer, encore moins à mettre de l'huile sur le feu ... ce n'était pas moi, et j'étais incapable de dire ce qui me prenait. C'était juste tellement de mauvaises ondes et de frustration, toute cette ambiance, cet endroit ... Ne quittant plus notre hôtesse du regard j'avais néanmoins rejoint le buffet à mon tour, passant délibérément devant Charlie sans lui accorder un regard de plus, et avait déposé mon verre vide pour en saisir un autre, plein.

Tout en buvant une gorgée de champagne je fais le tour de la salle, espérant ne pas y voir mes parents. S’ils sont là je suis mortes, tout le monde croit que je suis orpheline et que j’ai été élevé par une de mes tantes qui vit à Wisteria Lane. Jusque là j’ai réussi à tout bien planquer pour que personne ne découvre la supercherie, c’est pas le moment de tout faire foirer. Je ne sais même pas pourquoi j’ai fait ça. Un jour on m’a parlé de mes parents et comme j’avais pas envie de dire que c’était des vieux comme les autres qui boivent du thé regardent la télé, jouent au bridge et font du tricot, j’ai dit que j’étais orpheline et née à New-York où j’ai passé une partie de mon enfance. Alors qu’en réalité je suis née ici et je n’ai été que deux fois à New-York, qui est une ville qui n’a de bien, pour moi, que ses magasins ! Il y a une autre personne que je ne voudrais pas croiser, seulement, lorsque j’y pense, je le vois justement en train de discuter avec une vieille dame. Je me retourne direct vers le buffet, soudain très intéressée par les petits fours et les diverses coupes de champagnes. Pourquoi faut-il qu’il soit là ? Bon c’est vrai, il aime la fête, je l’ai déjà croisé plusieurs fois à cette occasion, mais heureusement nous nous sommes pas parlé, et puis les choses étaient différentes.

Voilà des semaines que je fais tout pour ne pas passer devant son bureau, pour ne pas aller en même temps que lui à la cafétéria ou aller acheter mon café, mais il faut qu’il soit à ce gala. J’espère qu’il ne m’a pas vu, je préfère ne pas me retourner pour vérifier, il pourrait me reconnaître et venir. Alors que de dos, c’est plus difficile, il est rare que je débarque au boulot avec une robe pareille, alors espérons qu’il continue de discuter avec la vieille. « votre robe vous va à ravir » et merde ! Bon c’est vrai j’aime bien les compliments, mais celui là je m’en serais bien passée. Ce qui m’énerve avec lui, c’est que je suis obligée de dire la vérité, il sait quand je mens. De toute façon, il connaît toute ma vie, la vérité aux mensonges que je raconte aux gens, ma taille de petite culotte, ma couleur préférée, tout ! Je ne peux pas passer pour une fille extraordinaire qui a fait plein de trucs dans sa vie et tout, je suis obligée d’être moi, une fille assez plate et pas très sympa’. « d’ailleurs nous sommes même assortis » bon ça va c’est pas non plus extraordinaire, le noir c’est pas le couleur la plus rare du monde ! Je m’efforce de ne pas déguerpir à toute jambe comme le ferais quelqu’un devant un lion, mais c’est difficile de rester. « Vous devriez vous habiller plus souvent comme ça pour le travail, je vous assure que le succès de la boîte monterait en flèche. » et encore un compliment, il veut m’annoncer qu’il me vire ou quoi ? Bon ça me fait plaisir, mais j’aurais préféré que ça vienne d’un autre mec que lui. « vous devriez en faire de même » dis-je un léger sourire aux lèvres. « bonne soirée. » ajoutais-je avant de partir à pas pressés vers le couloir menant aux toilettes. Je n’ai pas envie de lui parler plus longtemps, quitte à ne pas recevoir de compliments toutes les dix secondes.

La baby-sitter était venue gardée Lou-Anne. Bien qu'il aurait aimé rester à la maison, il se devait d'assister à ces mondanités qui si l'on en croit les dires, seront de plus en plus nombreuses dans cette ville. Nolan s'était rendu à cette petite fête en l'honneur de ce nouveau show télévisé. Il avait fait l'effort de mettre une chemise et une veste de costume mais n'avait pas troqué son éternel jean pour autant. Il était arrivé en retard, la ponctualité n'étant pas son point fort. Tous les habitants s'étaient réuni. Petits fours et champagne. Les jurons sortaient de par et d'autres de la foule, le mécontentement des gens se faisait sentir et il y avait de quoi. La plupart de ces personnes n'étaient pas d'accord avec l'installation de ces caméras et la vente de la ville à cette femme. « Avez-vous simplement penser à la sécurité de nos enfants ? » Sa voix s'était élevée parmi la foule. Lui qui, d'habitude préférait rester dans l'ombre n'avait qu'en tête, le visage de sa petite fille exposée à des millions de téléspectateur. Il n'était pas le seul parent en ville, certains avaient des enfants bien plus jeune que Lou-Anne. Que des caméras soient installés en ville pour l'argent, il s'en contrefichait. Que sa fille soit montré à la télévision était tout autre chose. Trop protecteur sans doute, il voyait peut-être le mal partout. Après tout, n'y a t-il de nombreux pédophile dans ce pays ? A moins que les autorités aiment jouer avec les mensonges, aussi sordides soient-ils dans ces cas là. « Ou peut-être n'avez-vous penser qu'à l'argent. » Et il savait que si l'émission fonctionnait, le Fairview Today aurait droit à des produits dérivés et pourquoi pas même, à un jeu vidéo flambant neuf que les gens s'arracheraient dans le but de pouvoir jouer avec leur personnage préféré. Un jeu de rôle, qui sera sans doute aussi ridicule que la vente de la ville.