Seth ♣ Why do you smile like you have told a secret ?

La nuit était tombée sur Seattle et tandis que leurs parents repartaient à l’hôpital en toute hâte, les trois enfants restaient à la maison avec leur nounou. Être les enfants d’un couple de chirurgien, c’est à double tranchant. D’un côté, en un claquement de doigt, ils avaient ce qu’ils désiraient ! Mais de l’autre, ils ne voyaient quasiment jamais leurs géniteurs. Hugo était l’aîné, ensuite était arrivée Victoria et enfin Seth. Des prénoms très différents les uns des autres, avec des origines assez éloignées. Pourtant, ils étaient bien tous les trois frères et sœurs et nés de la même union. L’entente à la maison se passait étonnement très bien ! Hugo était très mature, très protecteur avec ses deux cadets. Victoria était amusante, elle donnait le sourire. Seth était le casse-cou des trois, celui qui faisait les trucs que les autres n’auraient jamais osé faire. Et à trois, ils jouaient à rendre la vie dure à leur nounou … Ce n’étaient pas des enfants modèles, c’est bien le moins que l’on puisse dire.

« Je n’aime pas ça ! »

Victoria était douée pour jouer à la petite princesse, elle refusait souvent de manger ce que la nounou leur donnait. Ce n’était pas qu’elle n’aimait pas, en réalité, elle avait juste envie de contrarier la nourrice et de la faire devenir folle. Seth riait beaucoup en voyant sa sœur faire tout son cinéma et Hugo restait de marbre, mangeant silencieusement. Dans les pires cas, quand la nounou tentait encore et encore de faire manger son assiette à Victoria, celle-ci optait pour la solution de facilité et envoyait valser son assiette contre le mur. Ensuite, elle jetait un regard provocateur à la femme qui se chargeait d’eux en l’absence de leurs parents et elle lui disait sur un ton impérieux :

« Maintenant, ramasse ! »

Pour sa part, Seth ne défiait pas la nounou de façon aussi directe. Lui, il lui faisait frôler l’arrêt cardiaque ! Comme par exemple la fois où elle l’avait retrouvé, sur la pointe des pieds, perché sur la rampe de l’escalier. Un faux mouvement et il se serait retrouvé écrasé en bas. Il y avait aussi eu la fois où il avait eu envie d’aller faire une promenade alors, il avait simplement ouvert la porte et était parti, ni plus ni moins. Elle avait mis une demi-journée à le retrouver. Finalement, il était sagement installé sur un banc dans le parc, avec une glace à la main. Hugo était celui qui donnait le moins de fil à retordre à cette pauvre nounou. Il restait bien souvent calme et le seul problème qu’il posait à la nourrice était son envie d’être toujours le meilleur. Quand quelqu’un le surpassait, même dans un jeu, il râlait et abandonnait tout.

« Je veux une autre nounou ! Celle-ci, elle est trop méchante ! »

Ils acquiescèrent, les trois enfants ligués contre la nounou … Le lendemain, elle était virée.

2

Seth se dirigea sur la pointe des pieds vers la porte, ses parents lui avaient hurlés de monter dans sa chambre. Il colla l’oreille contre le bois froid de la porte et écouta la conversation. En bas, les adultes hurlaient à s’en rompre les cordes vocales. Le benjamin des enfants n’avait que dix ans, son grand frère avait cinq ans de plus. Quant à Victoria, elle avait douze ans cette année. N’entendant pas assez à son goût, il ouvrit tout simplement la porte et alla s’accroupir sur le palier pour écouter ses parents s’époumoner contre Hugo. Victoria le rejoignit très vite, incapable de rester en haut à ne rien faire et manquer une telle dispute ! Ils tendirent l’oreille et purent entendre leur père hurler :

« T’es en train de me dire que t’es une tarlouze ? Tu te fous de ma gueule !? »

Hugo tourna le regard vers sa sœur, celle-ci semblait avoir compris. Il tira sur sa manche pour qu’elle lui explique mais elle secoua la tête. Ils continuèrent à écouter, Hugo se défendait en répliquant et le ton monta. Leur mère s’en mêla et quand elle en eut marre d’entendre des cris tout autour d’elle, elle poussa un hurlement de harpie en folie et jeta un vase contre le mur. Seth sursauta, surpris par l’impact de l’objet contre le mur. Victoria serra les doigts autour du bras de son petit frère, enfin ils entendirent le mot de la fin :

« Très bien … Nous en rediscuterons. »

Autrement dit, la discussion était close.

3

Seth poussa la porte de la maison, il avait la tête baissée et des lunettes de soleil sur le nez. Là tout de suite, il espérait sincèrement que ses parents ne le surprendraient pas dans le hall car si c’était le cas … Il était mort ! En effet, il s’était encore battu … Cette fois, il avait laminé la tête d’un garçon de son lycée juste pour un regard qui lui avait déplu. Quand ses parents allaient apprendre ça, il allait se faire hurler dessus comme jamais. Sa mère débarqua dans le hall, elle pleurait à chaudes larmes. Quand elle le vit, elle retint un hoquet de surprise et elle s’approcha, les larmes coulant encore sur ses joues. Elle avait déjà remarqué la lèvre inférieure de Seth qui était ouverte et qui saignait. Elle lui ôta les lunettes de soleil et découvrit son œil qu’un vilain hématome venait décorer. La gifle vola, la tête de Seth bascula sur le côté et sa mère lui cracha sur un ton venimeux :

« Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça ! J’ai accouché de trois monstres … Un gay, une salope qui se fait mettre enceinte à seize ans et maintenant un délinquant … »

Annick recula d’un pas, elle jeta un regard désespéré à son fils, comme si elle observait une œuvre ratée et qu’elle regrettait. Seth l’avait souvent entendue murmurer qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle ne savait plus quoi faire d’eux … Et parfois, il se surprenait à ressentir une sorte de douleur. Il s’attirait des tonnes d’ennuis ! Mais à chaque fois, il le cherchait. Ce n’étaient pas les problèmes qui lui tombaient dessus, c’était lui qui allait les chercher. Sa mère haussa les épaules, elle venait littéralement de démissionner de son rôle de mère.

« J’en ai marre ! Je n’en peux plus de vos histoires … Je sature. C’est terminé, à partir de maintenant, je ne me préoccuperais plus de vos bêtises … Faites ce que vous voulez, je m’en fiche ! »

Elle tourna le dos à son fils et monta les escaliers, sans doute pour aller se bourrer de médicaments et s’endormir paisiblement …


4

« Alors c’est ça votre solution ? Vous zappez Hugo de votre vie par ce qu’il se fait prendre par des hommes … Vous zappez Vicky de votre vie parce qu’elle a un bébé … Et moi vous m’emmenez au bout du monde pour qu’on recommence à zéro ? C’est ça l’idée ? C’est une blague j’espère ? »

Seth n’avait pas sa langue dans sa poche et sa façon de parler était pour le moins choquante, surtout aux yeux de ses parents. Eux qui refusaient encore l’homosexualité de leur fils aîné et le libertinage de leur fille … L’entendre aussi clairement, ça leur mettait un coup. Seth était loin d’être mieux que ses frères et sœurs, il enchaînait les bêtises ! Alcool, fête, drogue, sexe, vol, … Il avait tout essayé. Mais ses géniteurs semblaient croire qu’il y avait encore un infime espoir. Ou peut-être était-ce parce qu’il n’avait que dix-sept ans et que donc, légalement, ils ne pouvaient partir sans lui. Enfin bref, ils mirent les valises dans le coffre et Seth monta en voiture. Il avait ce petit côté rebelle qui avait bien envie de les forcer à rester mais au fond, il savait qu’il n’arriverait à rien. Ils avaient décidés de partir et c’était idiot de vouloir s’opposer à ça. La nouvelle maison était achetée, meublée et préparée. Il ne leur restait plus qu’à aller vivre dedans.

« C’est quoi votre trou perdu déjà ? Wysteria Lane ? Je sais pas pourquoi mais je sens que ça va être un truc de vieux … »

Sa mère se redressa sur son siège. Les deux chirurgiens qu’ils étaient, avaient pris un sacré coup dans leur amour propre. Leur égo surdimensionné avait été compressé par les déboires de leurs enfants et aujourd’hui, ils déménageaient. Ils voulaient reprendre du début et essayer de retrouver une vie normale. Eux, ils n’avaient jamais demandé à avoir un fils gay ou une fille qui écartait les jambes un peu trop facilement … Ils voulaient juste une famille normale. Et ce n’était pas gagné ! Surtout pas avec Seth. Cependant, sa mère se déplaça et le fixa droit dans les yeux, pour lui annoncer la couleur de ce qui allait suivre :

« Si nous déménageons, c’est pour prendre un nouveau départ ! Je veux que nous redevenions une famille normale alors tu vas cesser ta phase de rébellion tout de suite … Sinon c’est tout aussi simple, on s’arrête sur le chemin dans un camp de redressement, on te largue là-bas et part vivre notre petite vie rien que tous les deux. Et ne me mets pas au défi, tu sais bien que je n’hésiterais pas un seul instant à te jeter là-bas … »

Elle avait raison, elle n’hésiterait pas. Seth haussa les épaules et planta ses écouteurs dans ses oreilles, les camps de redressements, il avait des amis qui y étaient allés … En gros, c’était la prison mais pour les mineurs. Alors non merci ! Seth parvint toujours à lancer une dernière pique à sa mère, qui passa quasi inaperçue :

« J’appellerais Vicky quand on sera arrivés … »